Créer de nouveaux Brugmansias

Pinceaux, Pollen, Patience

          Faire des croisements n’est pas le fruit du hasard, même si parfois il fait bien les choses. Faire des croisements c’est avoir une idée précise de ce que l’on veut créer pour atteindre un but ou du moins souhaiter s’en rapprocher le plus possible. Personnellement l’idée m’est venue en constatant le manque de fleurs sur certains sujets en période estivale. Je ne possédais que des brugmansias venus d’Allemagne qui butaient sur les grosses chaleurs du sud-ouest de la France, puis j’ai eu l’occasion de faire grandir chez moi des créations de M. Didier Sevestre qui réside dans le département de l’Yonne et soudain j’ai compris en observant les floraisons ininterrompues de ses brugmansias, qu’il y avait un chemin inconnu qui s’ouvrait à moi. Fortifié par l’amitié de Didier et ses conseils avisés, je marche à présent à pas plus assurés dans la découverte de nouveaux hybrides. Je n’aurais jamais imaginé cela auparavant.

          Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut choisir deux parents et pour cela bien les connaître, c’est-à-dire percevoir leurs défauts et leurs qualités. Il faut aussi avoir pris le temps de surveiller leurs floraisons pendant plusieurs saisons, afin de pouvoir imaginer les rêveries les plus folles, souhaiter l’élégance de la mère et l’associer à la chaude couleur du père, ou encore la double corolle de la mère avec les pointes très relevées du père. Voilà ce qui pousse les amoureux de métissage à espérer. Il n’y a pas que les floraisons qui doivent être  évaluées, il y a aussi la taille des individus, la grosseur de leurs branches, si elles sont trop frêles cela peut nuire au port de l’arbuste, surtout si les fleurs sont nombreuses, il faut observer  les entre-nœuds plus ils sont rapprochés, plus la production de boutons sera importante. Tous ces éléments rassemblés dans l’union des deux parents laissent présager des résultats intéressants.

          En croisant deux géants nous avons de très fortes chances d’obtenir un autre géant. Je dis bien de très fortes chances, car il peut y avoir des exceptions. Comme chez les humains ou les animaux, l’union de deux êtres parfaits peut donner lieu parfois à un résultat surprenant. Alors il est primordial de mettre toutes les chances de son côté et pour cela Il faut observer le rythme des floraisons, si les parents fleurissent peu, les descendants risquent d’hériter du même problème. Chaque fois que vous multipliez par deux une défectuosité le risque de voir cette faiblesse apparaître sera grandissant. Choisir ensuite qui sera porteur des graines et qui sera donneur de pollen. Certains hybrides donnent de meilleurs résultats en tant que mère, d’autres en tant que père. Hélas !  Il n’y a pas de critères pour les repérer si ce n’est l’expérience. Personnellement je passe beaucoup de temps à étudier les croisements que j’ai choisis de faire le printemps venu. Je désigne les plantes porteuses (mère) auxquelles j’attribue des porteurs de pollen (père) après consultation pour chacun d’eux de l’arbre généalogique afin de connaître les parents, ce qui donne des indications sur les couleurs et les formes qui peuvent apparaître. J’ai perdu beaucoup de temps à mes débuts, considérant l’hybridation comme un jeu de hasard, bien sûr en agissant ainsi trouver la perle rare est plus aléatoire. A présent mes choix sont distincts et bien sûr mes résultats meilleurs. Le plus compliqué pour réaliser les croisements que l’on a prévu de faire, c’est d’avoir les deux individus en fleurs au même moment, pour cela on peut user d’un subterfuge, on peut stocker du pollen dans des tubes stériles et les garder au frais dans un réfrigérateur. C’est une excellente façon d’obtenir la disponibilité du pollen et pouvoir l’utiliser dès que la fleur « mère » est ouverte. Le pollen ainsi peut se garder une vingtaine de jours et même davantage. De plus si l’on n’a pas la plante désirée pour prélever le pollen il y a toujours une connaissance qui peut vous en fournir, les tubes peuvent voyager par la Poste.

          La collecte du pollen n’est pas une mince affaire car nous sommes nombreux à le convoiter. Surtout au mois de mai lorsque les Méligèthes envahissent les calices, ce n’est pas pour rien qu’on les surnomme « Les pilleurs de pollen » en une seule nuit, ils laissent les étamines aussi nues qu’un bâtonnet de glace après le passage d’un petit gourmet. Parfois il est de mauvaise qualité, trop humide, parfois il est trop sec et n’adhère pas aux poils du pinceau. Mais lorsque tous les éléments sont réunis, alors là, la pratique est aisée puisque le stigmate est bien détaché sous la corolle et entouré par les cinq étamines, qu’il faut supprimer à l’aide d’une pince à épiler ou autre. Lorsque la fleur est double ou triple cela devient beaucoup plus compliqué pour atteindre le stigmate, j’utilise personnellement des pinces à pansement que l’on trouve en pharmacie qui ont le mérite d’être plus longues et surtout plus larges que les pinces d’épilation, ainsi on peut écarter les différentes corolles très facilement. Parfois les fleurs triples et plus n’offrent aucun passage entre les corolles qui sont plissées et serrées les unes contre les autres, il faut alors se résoudre à l’incision qui est pratiquée à l’aide d’un cutter sur un des côté de la corolle. Ceci étant fait il ne reste plus qu’à déposer le pollen à l’aide d’un pinceau ou d’un coton tige sur le stigmate de la mère, en tapotant doucement mais sans excès, puis clore la corolle à l’aide d’un lien moderne ou d’un raphia pour éviter la visite d’intrus, ou bien encore et c’est plus sûr ensacher les fleurs fécondées dans de petits sacs de gaze, fixer une étiquette légère avec le nom de la mère et du père, (La mère toujours en premier, puis le père, séparés du x de croisement. Exemple : SB Mitoune X Laetitia). Puis il faut attendre quelques jours, la corolle tombe au sol. Il ne reste qu’un long fil qui est le pistil avec le stigmate à son bout celui que l’on a enduit de pollen, suivre le pistil du regard jusqu’aux ovaires juste en dessous du pédoncule et s’ils sont gonflés, c’est que le fruit est en formation. Malgré les bons aperçus ce n’est pas gagné, parfois le pédoncule jaunit et la cosse contenant les graines tombe, le travail est perdu. Si le cycle se déroule parfaitement, il faut compter trois à quatre mois pour récolter les graines contenues dans les fruits. L’espoir fait vivre et les hybrides sont chaque année plus nombreux, c'est pour cela que les croisements peuvent se créer à l'infini.

          Les croisements effectués en juin et juillet donnent les premières graines en octobre - novembre, certains fruits mûriront en décembre.  Pour savoir si le fruit est mûr, il suffit d’observer le pédoncule, il faut qu’il commence à jaunir et présenter un desséchement suivi d’un fendillement à l’attache avec le fruit, comme pour le melon, l’enveloppe de la gousse doit aussi se sécher et la forme du contenu devenir perceptible. La couleur des graines vire du blanc au brun, le fruit est prêt. Mais parfois j’ai dû ouvrir un fruit avant sa complète maturité, généralement parce qu’il était tombé et que je tenais particulièrement à ce croisement. Malgré une enveloppe encore verte la surprise est de constater des graines qui changent à peine de couleur mais qui sont parfaitement formées à l’intérieur et capable de germer.

          L’ensemble des nouveaux croisements seront semés avant la mi-janvier. Les jeunes plants ont ainsi le temps de s’installer dans les godets en attendant une plantation dès la mi-avril. Les graines sont généralement un peu décortiquées pour éviter que le liège qui les entoure ne les comprime en faisant un étranglement au niveau des deux cotylédons. C’est une phase délicate qui demande un peu de doigté et beaucoup de patience, mais c’est aussi la garantie d’une bonne levée, ce n’est pas obligatoire cependant, les graines possédant leurs enveloppes liégeuses germent aussi, mais avec un peu plus de pertes. Je pratique le trempage des graines durant vingt-quatre heures uniquement sur des graines qui sont sèches ou que j’ai gardées durant quelques mois. Le semis de printemps est trop tardif pour espérer voir les plantes fleurir avant l’hiver. Les graines décortiquées doivent être déposées à la surface du substrat sans les dissimuler, la lumière favorise la levée. Pourtant durant de longues années j’ai enfoui les graines de mes semis sous deux ou trois millimètres de terreau, cela ne m’a jamais empêché d’avoir des résultats positifs. Mais pour autant il faut toujours améliorer la technique et surtout mettre en avant les bonnes recettes. Il existe une autre façon de faire germer les graines, il s’agit d’abandonner le terreau de semis pour utiliser uniquement de la laine de roche et ainsi éviter le risque de fonte de certaines plantules. Il suffit de prédécouper des carrés de 2x2 cm dans un morceau de laine de roche et de pratiquer une échancrure au centre de chaque carré, il n’y a plus qu’à y glisser les graines et vaporiser l’eau d’arrosage. La chaleur requise pour une bonne levée n’est pas très importante de 22° à 25°, mais au regard de la saison il faut un peu de matériel pour pouvoir contrôler la bonne température. Un coffre de culture est idéal pour ce genre de semis, un fil chauffant et un thermostat viendront compléter la panoplie. Il faut compter une dizaine de jours pour observer les premières naissances. Si les graines sont semées avec le liège parfois un peu plus de temps est nécessaire et le souci majeur vient en fait de cette enveloppe qui sèche en s’éloignant du sol et dont la plante aura plus de mal à se débarrasser. Le semis ne présente aucune difficulté. Après la levée il faut beaucoup de lumière et de la chaleur pour favoriser la croissance et surtout ne pas laisser sécher le substrat.

          Les plantules doivent posséder deux vraies feuilles avant d’être repiquées. Il faut aussi observer la formation de la tige et sa vigueur. Si certains plants sont rachitiques mieux vaut les éliminer, ils vont prendre une grande place pour ne donner aucun résultat. Personnellement, je repique en godets pendant deux ou trois semaines puis en conteneurs de 2 litres pour stimuler la croissance des racines. La plantation en pleine terre sera ainsi favorisée avec des brugmansias déjà bien formés et capable de supporter les rigueurs du printemps, soleil, vent, pluie et parfois fraîcheur excessive. Les brugmansias seront plantés quand tous les risques de gelées seront  écartés, pour ma région c’est environ vers la fin mars  ou le début avril que je procède. Ils sont alignés en plein champ et espacés de 1,60 m. De grosses étiquettes sont placées en début de rangé. Il faut penser qu’elles vont devoir affronter les rigueurs du temps, pour cela choisir des panneaux à planter très solides. Il est préférable d’assurer la reconnaissance en faisant un plan des différentes rangées et des croisements qui s’y trouvent. Un troupeau de vaches peut surgir, ne riez pas, c’est du vécu.

          Les premières fleurs selon les croisements apparaissent vers la fin août, la patience se voit récompensée ou non, le choix des parents va-t-il être regretté ? Là, commence la quête des bons résultats, l’observation se fait plusieurs fois par jour et les plantes sélectionnées sont étiquetées, des annotations sont écrites sur l’étiquette en plus des noms des parents et du numéro d’identification, comme la forme de la fleur,  simple, double ou triple, la couleur, la beauté décrite par une étoile et jusqu’à quatre étoiles pour les plus belles, la floribondité de la plante. Toutes ces notes serviront à la sélection et à l’identification.

          Fin octobre avant les grands froids, les brugmansias sélectionnés sont arrachés à la terre et plantés dans des conteneurs de 20 litres. Heureusement c’est une plante qui possède de bonnes capacités de reprises. En quelques jours seulement l’enracinement s’opère et la continuité de la floraison s’observe. Puis enfin, ils seront stockés hors gel durant l’hiver. Ils ne subiront pas de taille de la ramure puisque le développement n’est pas encore très important. Cela permettra une mise à fleurs plus rapide au printemps suivant, car le travail n’est pas fini. Ils seront ensuite plantés vers la mi-mars pour être à nouveau observés une saison entière et certains seront mis en concurrence. Enfin après avoir répondu aux exigences des critères imposés, de floribondité, de solidité, de beauté, de résistance et après s’être assuré qu’ils ne sont pas victime d’une attaque virale, alors seulement là… un nom apparaîtra.

          Il faut également commencer le bouturage des plantes fraîchement nommées. Il serait ballot de perdre le travail de deux années en n’assurant pas la production de clones, qui sont  en réalité les sentinelles de leur survie. C’est aussi le moment d’observer si les nouveaux venus sont enclins à produire facilement des racines. Rien n’est plus rageant que d’avoir produit un brugmansia magnifique qui refuse d’émettre des racines. Le but recherché n’est-il pas de multiplier naturellement une plante que tout un chacun rêverai de posséder ?

          Après la lecture de ces différents paragraphes, vous comprenez aisément que créer de nouveaux hybrides n’est pas la somme de taches aisées. C’est un travail incessant, parfois fatiguant, surtout lors des plantations, très méticuleux et ordonné. Il y a quelque chose que  j’oserais dire « d’artistique » dans la recherche, le coup d’œil et le choix. C’est aussi l’école de la patience, un enseignement des choses simples et l’apprentissage d’une certaine logique.  Puis surtout c’est aussi un moteur qui pousse le créateur à se pencher de loin en loin sur son ouvrage, il en découle que la vie s’écoule par les méandres des soucis, des joies et des peines,  presque sans se rendre compte que les cheveux ont blanchis et que le port s’est rapproché. Je souhaiterai que ces quelques paragraphes aient le mérite de donner l’envie de pénétrer dans le monde merveilleux et mystérieux de l’obtention et de ressentir le désir de concevoir de nouveaux brugmansias aux fleurs envoûtantes et aux parfums enivrants.

 

Cosse de graines 4Cosse de graines 3Cosse de graines 2Divers stades de formation des graines. Les cosses vertes représentées sur la première photo ont environ une cinquantaine de jours, sur les deux photos suivantes  les fruits ont trois mois d'existence, les graines sont prêtes à être semées.

 

25-nov-2009-002.jpg

Fruit du Brugmansia, les graines sont mises à nu

 

25-nov-2009-004.jpg

Enveloppes liégeuses renfermant les graines, celles-ci ressemblent à de minuscules fèves.

 

25-nov-2009-005.jpg

Semis, non recouvert, 

 

25-nov-2009-009.jpg

Semis réussi, les nouvelles plantes prennent leurs aises dans des contenants de 2 litres

 

 

Deux exemples de semis d’automne 2014 :

Laetitia x Petit Bijou ce croisement semé fin octobre 2014 à fleurit en septembre 2015, il a donné divers résultats, l’élu est celui-ci

Bijou pour laetitia 2 1

 DS Petit bijou pour Laetitia

 

Angels Glorie x Morgensonne ce croisement semé en novembre 2014 à fleurit en septembre 2015, voici le brugmansia sélectionné.

Gaufrette orange 4 copier

SB Gaufrette à l’orange

 

    Triple A x Ecarlate : quelques résultats d'un semis effectué avec les graines d'une même cosse.

Tripla a x ecarlate n 2 2 copierTripla a x ecarlate n 2 3 copierTriple a x ecarlate n 3 1Triple a x ecarlate n 3 4 copierTriple a x ecarlate n 4 2 copierTriple a x ecarlate n 6 2 copierTriple a x ecarlate n 5 3Triple a x ecarlate n 5 2 copier

Cet exemple de huit plantes différentes démontre bien que les graines de la même gousse donnent des formes et des couleurs différentes.

Triple a x ecarlate 3 1

Voici l'élu qui est inscrit depuis : DS Tilleul Menthe

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 2019-01-22