Un peu de poésie
Lorsque le jardinier se retrouve seul au centre de ses plantes, il observe, il pense et s’évade d’un monde qui devient de plus en plus artificiel, où les lumières bleues sont plus regardées que la lumière solaire. Alors les mots puis les phrases germent et prennent formes en se couchant sur le papier pour exprimer le ressenti du moment.
6 Quai Saint-Pierre
Nouveau pont Saint-Pierre qui a remplacé l'ancien pont suspendu de mon enfance.
Enfant je regardais avec stupeur la Garonne en courroux,
Jeter des troncs d'arbres par-dessus la chaussée du Bazacle.
Les flots tumultueux et boueux des crues emportaient tout.
La brique rose du quai disparaissait sous la débâcle.
Près du parapet Grand-Mère me tenait par les épaules,
Le vent venant du fleuve avait un fort parfum de terre.
Il montait un grondement sourd de l’eau agitée et folle,
Qui couvrait le son de nos voix et nous poussait à nous taire.
Que d'images de ce fleuve sont gravées dans ma mémoire.
Colériques ou parfois si douces, en été lorsque l'onde est sans ride,
Les oiseaux rasent de l'aile le ciel sur l'eau vêtu de moire
Où le pont suspendu tient l'onde sous ses câbles en brides.
C'est au numéro six du quai Saint-Pierre que j'ai vu le jour.
Mon père y avait vu le sien dix-neuf ans auparavant.
Cinq générations prises dans la courbe du temps, tour à tour.
Près du fleuve, ils y ont aimé et élevé leurs enfants.
Cerné par Garonne d'un côté et Brienne de l'autre
Ilot où tante Jeanne œuvrait à l'écluse Saint-Pierre.
J'allais la voir, elle était veuve, ceux de Vichy et d'autres
Ont tant torturé son Lucien, qu'il fut couché sous la pierre.
Le quai Lucien Lombard portant son nom garde le souvenir.
Ma Grand-mère me parlait parfois de cette époque sombre
Et de cet homme fort doux, qui pour défendre notre avenir,
Est mort trahit par des impunis restés tapis dans l'ombre.
Le quai s'est vidé de tous les miens, mais ils sont là sans doute.
La brique des murs reste la même, Garonne à ses humeurs.
Les femmes ont rentré les chaises, les autos ont la route.
A chacun de mes pas je croise des inconnus… des flâneurs.
Serge Born
30 Janvier 2024
Quai Saint-Pierre
Plumes d'anges
Sur le coteau de Saubens la neige se déchaîne.
La campagne blanchit sous sa fourrure d'hermine.
Les flocons grésillent sur les feuillages de chênes,
Chanson d'hiver venue du ciel où le gris domine.
Sous mes pas prudents, le moelleux tapis d'ouate craque.
Les bambous sont courbés comme des sourcils de panda.
Quelques herbes vertes donnant au blanc une claque,
Devant un pot renversé de Brugmansia "Amanda"
Plus loin la serre vitrée sous l'averse s'efface.
Le grand tunnel en plastique lui aussi disparaît.
Dans la maison de verre où les semis s'entassent,
La douce chaleur est bien plus forte qu'il n'y paraît
Le jardin n'a plus d'âme, mais a trouvé un charme,
Ses massifs bombés sont ensevelis sous la couche.
Les fruits colorés des hauts persistants désarment
Ce frisson de plumes d'anges dont janvier accouche
Serge Born
9 nivôse 2024
Je crée des fleurs
Je crée des fleurs doubles aux couleurs très intenses.
Je crée des fleurs simples et belles qui m'enchantent.
Je crée des fleurs, je rêve, j'invente, je pense.
Je crée des fleurs aux lourdes senteurs envoûtantes.
Les couleurs, les parfums, les textures, quel bonheur.
Je crée des fleurs sur le tableau noir de mes songes.
Je crée des fleurs dessinées d'une teinte dorée.
Je crée des fleurs dans un vertige où je plonge.
Je crée des fleurs nées d'une passion démesurée.
Obtenir, aimer ces beautés aux formes étranges.
Je crée des fleurs, m'efforçant toujours d'innover.
Je crée des fleurs, du pinceau tenu par mes mains.
Je crée aujourd'hui pour les gens qui m'ont découvert.
Je crée aussi pour tous ceux qui viendront demain.
Mon jardin, la terre, l'eau, le soleil, ma vie s'écoule.
Serge Born
16/10/2021
Mitoune
Autour de mes Brugmansias lors de promenades bucoliques
J’arrête mes pas devant celui que j'ai nommé Mitoune
Alors, les souvenirs renaissants me laissent mélancolique
Je la revois courir et sautiller lorsqu'elle était pitchoune
Un joli minois cerné de cheveux bruns, un sourire coquin,
Des grands yeux brillants de malice, formaient un ensemble charmant
Mon amie avait un caractère très fort et parfois taquin
C'était mon soleil dans la sombre maison où nous vivions enfants.
Nos jeux étaient humbles, nos parents ouvriers n'étaient pas aisés
Nous faisions collections, de timbres et de boîtes d'allumettes.
Nous allions visiter les musées, c'était gratuit, ça nous plaisait.
Nous nous épousions dix fois l'an, un rideau pour traîne simplette
Le bac à linge était notre piscine tiédit au jardin
Qu'importe, nous étions bien. Nous pensions jouer ensemble pour toujours
Le temps a passé et nous a éloigné un temps, c'est le destin.
A son mariage j'étais présent, heureux d'être là pour ce jour.
Notre amitié est restée intacte jusqu'à l'instant de sa mort.
Parfois entre deux brises qui font frémir les roses corolles
Je ressens près de moi sa douce présence, c'est un moment fort,
Un long frisson, un souffle de vent, comme un oiseau qui s'envole.
Serge Born
11 janvier 2024
Ma source d'inspiration : Face à la terrasse de notre maison de Liers (Ariège) sur le versant opposé, la grande roche plate où les cervidés apparaissent très souvent.
L’ubac et l'adret
Une grande roche plate sur la pente abrupte s'avance.
Un îlot de paix au milieu des frênes et des chênes.
Sur l'ubac, versant où l'ombre et le froid se fiancent
Belle et fière de veiller le corps de Pyrène.
Dans le récit Héraclès a érigé des roches
Pour bâtir un immense tombeau à sa bien-aimée
Morte après son départ, dont il se fit le reproche,
Et laisser une trace, il l'appela "Pyrénées"
Pyrène peut dormir tranquille sous la pierre.
Dame nature l'a couverte de sa parure,
De forêts, de près baignés de ruisseaux, de rivières
De hautes fougères, de gispets et de pâtures.
Sur la grande roche plate, un grand cerf s'avance.
En retrait la horde l'assiste, fier entre ses bois,
Ses nasaux frémissent grisés de douces fragrances
Il observe, il guette, inquiet il est aux abois.
Sur le versant d'en face vivent de curieux prédateurs,
C’est l'adret, où lumière et chaleur font épousailles
Une vie frénétique dont on entend la rumeur.
C’est la société qui de siècle en siècle déraille.
Civilisations, associations, organisations, sans humanité.
Communautés, rassemblements, confréries, sans loyauté.
Religions, ligues, partis, constitutions sans vérité.
Gens différents et indifférents sans égalité
Sur l'ubac rien n’a changé, il s'est sauvé du néant.
Sur l'adret tout est bouleversé, il en paie les revers
Ce monde fou court à sa perte en longs pas de géant
Où l'homme hypocrite feint de ne pas voir ses travers.
Serge Born
14 janvier 2024
Date de dernière mise à jour : 2024-10-15